Pourquoi partageons-nous des informations sur les médias sociaux ?
Nous avons pris l’habitude avec les médias sociaux de partager, de faire suivre, commenter, rediffuser, bookmarker, sélectionner des informations produites par d’autres.
Sur twitter notamment, et sur les outils dédiés au partage d’informations et de « curation » (le nouveau buzzword du moment), on peut s’apercevoir assez facilement que la plupart des informations ne sont pas des productions mais des rediffusions.
Autrement dit, on partage plus que l’on ne produit.
Et c’est normal : pas tout le monde n’a le temps et surtout les compétences de produire de véritables contenus : un article, un billet, un dossier, une analyse…
Partager est plus facile que produire.
Commenter est plus facile que produire.
Produire de la connaissance et la diffuser comporte un risque important : la critique, la remise en cause, ou même la raillerie.
Partager un contenu est moins risqué, car la personne qui partage n’engage pas son moi, ce qu’il a produit, mais simplement ses goûts et ce qu’il aime.
Mais pourquoi partageons-nous ?
Posez vous la question, si vous êtes utilisateur de twitter. Regardez vos derniers tweets et demandez-vous: « pourquoi avais-je diffusé cela ? »
Bien sûr, cela demande un minimum d’introspection…
Bien évidemment, je ne parlerai pas ici de la diffusion de vos propres contenus, si vous être un « producteur » de contenus.
Quel est le mécanisme qui vous pousse à partager un contenu que vous n’avez pas produit ?
Plusieurs réponses sont possibles :
– 1. Vous estimez que l’information que vous partagez est importante et doit être connue par vos followers (ou par le plus grand nombres de personnes possibles).
Nous sommes dans ce cadre dans un objectif altruiste, journalistique, ou même évangéliste : « Le monde doit savoir ».
– 2. Vous partagez une information dans le but d’échanger avec d’autres, d’engager la conversation. Nous sommes plus ici dans une logique communautaire dans laquelle nous prenons part en s’échangeant des informations, en donnant vie à notre réseau. Nous apportons notre pierre à l’édifice en quelque sorte.
– 3. Vous utilisez l’information que vous avez trouvé pour vous valoriser, pour rechercher une reconnaissance.
Dans ce contexte, vous utilisez, vous vous servez de l’information pour vous mettre en valeur.
Nous sommes ici dans le culte du moi, parfaitement expliqué par le sociologue Dominique Cardon dansun récent article intitulé « Tous éditeurs ? Les promesses incertaines de la curation », publié sur site cblog.culture.fr.
Dominique Cardon explique dans cet article : « Faire circuler un lien, indiquer que l’on aime un livre, uné vidéo ou un article, c’est beaucoup moins s’adresser au créateur du contenu rediffusé que parler de soi, de ses goûts, de ses aspirations, de ses centres d’intérêt à son réseau social. Cette activité d’édition démonstratie et frimeuse constitue-t-elle choix éditorial ? »
Dominique Cardon avance sous forme de question l’hypothèse que l’on partage pour se valoriser soi-même.
Démonstration avec Twitter
Prenons l’exemple de twitter, lorsque vous prennez connaissance d’une informations intéressante, inédite, que à priori personne – ou en tout cas pas à votre connaissance- n’a relayé, vous avez 3 possibilités :
– Première possibilité : faire un Retweet en utilisant la fonction Retweet de twitter > le « Retweet éthique » ?
Dans ce cas, nous sommes plus dans une logique de partage altruiste, car la personne qui partage est « en retrait » de l’information, peu valorisée.
En effet, vous remarquerez que si vous retweetez avec la fonction éponyme de twitter, ce n’est pas votre photo qui s’affiche sur la timeline de vos followers, mais celle de la personne qui a partagé à l’origine l’information.
Autrement dit, vous mettez en avant l’information et la personne, qui à l’origine l’a partagé.
Nous sommes donc plutôt dans une pratique plutôt altruiste, de véritable partage, dans le sens ou clairement, c’est l’information et son auteur qui est mis en avant.
Illustration avec cet exemple :
Ici, @bodyspacesoc valorise l’information et la source : @fbardeau.
Ce qui est intéressant dans ce fonctionnement natif de Twitter, c’est que grâce à cette fonction, nous pouvons découvrir d’autres personnes que nous ne suivons pas et qui potentiellement peuvent nous intéresser, en partie parce que l’un de nos contacts a jugé opportun de faire suivre à nous, ses followers, ce tweet.
Mais le fait intéressant, c’est que cette fonctionnalité conçue par twitter est en fait sous-utilisée, et très souvent détournée. D’ailleurs, pour trouver un exemple pour faire ma copie d’écran, j’ai du dérouler au moins 4 ou 5 écrans avant de trouver un vrai retweet.
– La deuxième possibilité : faire un retweet commenté (ou un faux retweet) > le retweet égoïste ?
Dans ce cas, vous n’utilisez pas la fonction retweet de twitter, vous reprennez le tweet en question, et vous ajoutez RT @ devant, sans apporter quelque chose de plus, un commentaire.
Vous allez me dire que c’est la même chose que retweeter avec la fonction RT.
Pas vraiment !
La différence ? Elle est notable : c’est votre profil qui apparaît sur la timeline de vos followers.
Vous vous appropriez donc l’information produite par un autre, en vous valorisant.
Cependant, vous avez encore l’éthique de citer la source ou l’auteur, puisqu’on aura au début du tweet RT@auteur.
Mais la démarche est tout de même différente, surtout si l’on considère que le « faux retweet » est moins facile, moins rapide à exécuter qu’un « retweet pur ».
De plus, cette pratique ne nous permet pas de découvrir d’autres personnes qui pourraient nous intéresser, puisque le « rediffuseur » l’a masqué et éclipsé.
– La troisième possibilité : diffuser l’information sans citer la source > une contrefaçon ?
Dans ce cas, vous ne citerez personne dans votre tweet, pas de « RT » : vous vous contentez de publier l’information en mettant un lien vers le contenu en question.
Un créateur de contenu que je suis sur twitter, @desbenoit , exprimait parfaitement cette pratique en tweetant il y a quelques temps : « J’ai l’impression que quand je publie un tweet il se publie à l’identique sur d’autres comptes. »
Dans ce contexte, nous sommes clairement dans une appropriation de contenu, dans une logique de valorisation de soi, de besoin de reconnaissance explicite.
Il est même légitime de se demander si l’on est pas ici dans l’atteinte à la propriété intellectuelle et au droit d’auteur, puisque, en quelque sorte, la personne dépossède l’auteur de l’information pour se l’approprier.
Avec la limitation des 140 caractères, Twitter fournit par la même occasion une bonne excuse aux adeptes de cette pratique de ne pas citer la source, la citation pouvant en effet occuper 10 à 15 caractères.
Alors, partager sur twitter est-il un acte individualiste ?
Regardez dans votre timelime le nombre de « retweet pur » et le nombre de « faux retweet » et vous aurez une indication de réponse.
Ces pratiques posent une autre question : y’a t-il une pratique éthique du partage et de la rediffusion de contenus sur twitter, et plus généralement sur les médias sociaux ?
Oui, sans doute. Le « retweet éthique » est sans doute celui proposé par twitter, le « retweet pur ».
Mais cette hypothèse ouvre une autre interrogation : y’aurait-il autant d’informations et de contenus partagés et retweetés si la personne qui partage le contenu d’un autre n’était pas valorisée en faisant l’acte de retweeter ?
Non, sans doute.
Alors, l’addition d’actes et motivations individualistes ne mène t-il pas à un sens commun, à une construction de la connaissance qui peut profiter à tous ?
Certainement, oui.
Le résultat est sans doute plus important que la motivation…(bon j’arrête là, sinon je vais commencer à parler philo et, de toute manière, je n’y connais rien…)
Analyse assez pertinente je trouve, mis à part le petit problème que pose la fonction retweet de twitter: si l’on utilise cette fonction, le partage ne pourra être qu’immédiat, accessible à ceux qui suive la TL du retweeteur mais pas à ceux qui le suive à partir des listes.
Personnellement, il y a pas mal de gens que je suis seulement à travers les listes: s’ils utilisent la fonction retweet, je ne verrai pas l’info, le lien ou autre qu’ils partagent.
Personnellement, j’utilise les deux façons de retweeter, plus celle qui consiste à inscrire à la fin du tweet /via @ZZZ selon plusieurs critères bien différenciés mais et il est vrai que parfois le critère est mon égo…
MaB
Bonjour et merci de ton commentaire,
Je n’avais jamais remarqué que les listes n’intégraient pas les RT, merci de l’info.
Cela dit, j’ai l’impression que peu d’utilisateurs gèrent des listes, à part les spécialistes de la veille.
Au plaisir d’échanger,
Sylvain
Bonjour, réflexion très intéressante sur les enjeux éthiques et de reconnaissance du partage d’informations sur Twitter.
Maintenant votre distinction entre trois types d’attitudes vis-à-vis d’une posture éthique en fonction du type de partage de l’information ne traduit pas la réalité. Si l’acte de partage d’une information revêt toujours une part de valorisation de soi, nous ne pouvons pas déduire de la forme du RT ou de son absence, une quelconque posture éthique. Le jugement du respect de règles induites se fait au niveau du microcosme auquel appartient un individu et les comportements non éthiques sont vite repérés. Par contre, faire un « faux RT » ou ne pas mettre de RT ne signifie pas qu’on n’ait pas un comportement éthique et de là, à aller à un appel au droit de propriété intellectuelle, c’est donner beaucoup trop de valeur à l’information partagée via les réseaux socionumériques.
Merci pour votre analyse qui m’a donné envie de réagir.
Bonjour et merci de réagir !
Vous avez raison, le lien entre les pratiques exposées et une posture éthique est incertain.
C’est pour ça d’ailleurs que j’envisageais ce lien comme une interrogation et non une affirmation.
Mon but était de lancer le débat, c’est chose faite, à en croire votre réaction et le nombre de retweets !
Je suis d’accord sur le fait que se valoriser soi ne traduit pas forcément un manque d’éthique, mais c’est parfois (souvent ?) le cas.
Sur twitter, l’expression est limitée par le nombre de caractères et je trouve que justement -et c’est ce qui est intéressant- cela nécessite de faire parfois un choix entre citer l’auteur et se valoriser soi.
Enfin, sur la question de la contrefaçon et de la propriété intellectuelle, je ne suis pas du tout en faveur d’un appel au droit de propriété intellectuelle sur twitter et sur les médias sociaux, car c’est en contradiction avec l’âme du web 2.0.
Mais c’est peut-être justement aussi pour cette raison qu’une réflexion vers des pratiques éthiques est nécessaire : l’éthique est d’autant plus importante lorsqu’il y a un vide juridique…
Après cela pose une autre question : le tweet est-il un œuvre originale, donc protégée ?
Il faudrait l’avis d’un spécialiste de propriété intellectuelle…
Parfois je me dis aussi comme vous qu’on accorde trop d’importance à l’information sur les médias sociaux : « après tout ce n’est qu’un tweet »
Oui, mais l’information n’est-elle pas dans notre société actuelle justement une importante source de savoir et de pouvoir ?
Merci en tout cas de débattre !
Au plaisir d’échanger,
Sylvain
Comme prendre un café avec les amis. Pas nécessaire mais plaisant.
J’ai apprécié cet article ! Merci ! :o)
Twitter est un laboratoire passionnant, qui n’est pas dénué de paradoxes, néanmoins en constante évolution.
Merci,
C’est vrai que c’est ce qui est enthousiasmant ! (et aussi parfois troublant…)
Au plaisir,
Quand j’ouvre plusieurs liens en parallèle à partir de twitter, je ne fait pas toujours l’effort de rechercher qui m’a fourni ce lien pour le RT. Est-ce une mauvaise utilisation de l’outil ?
Bonjour,
Non, je ne pense pas mais la question se situe bien à ce niveau : est-ce qu’il y a une bonne ou une mauvaise utilisation de twitter et plus généralement des médias sociaux, d’un point de vue éthique ?
Je n’ai pas de réponses à cette question, mais c’est en tout cas une réflexion à développer !
Au plaisir,