Hausse des impôts : facebook lance la taxe sur nos conversations

Imaginez une soirée entre amis. Une discussion entre quelques personnes. Une discussion passionnée ; les protagonistes parlent beaucoup ; trop à votre goût.

Vous souhaitez prendre la parole mais vous n’arrivez pas à vous faire entendre.
Heureusement, vous avez 7 euros. Vous les mettez sur la table. Les autres se taisent. Vous parlez, ils vous écoutent. Ils sont obligés de toute manière.

Bienvenue sur le nouveau facebook.

« Communiquez avec vos amis, plus rapidement, où que vous soyez. »

Voilà le message par lequel facebook accueille ses utilisateurs.
Ça, c’est pour la promesse ; celle du facebook de la fin des années 2000.
La réalité de facebook est aujourd’hui plus complexe.

L’évolution de l’affichage des contenus sur facebook s’est faite en trois étapes :

– D’abord un modèle de publication par flux antéchronologique pur, dans lequel les actualités des pages et amis sont toutes visibles de manière identique, de la plus récente à la plus ancienne, sans sélection (c’est le modèle des blogs, et encore de twitter (1))
– Puis la mise en place en 2010 d’un algorithme (le « edgerank ») qui va définir si une actualité va s’afficher ou pas sur votre fil : c’est le « top stories ».
– Enfin, la mise en place en octobre 2012 d’un système de publication payant, qui permet de toucher plus de personnes qu’avec le « top stories », sans pour autant atteindre l’audience de base du modèle antéchronologique.

Je reviendrai dans un prochain billet sur ces différents modèles et leurs enjeux.

En d’autres termes, facebook a construit un super jouet. Il vous l’a donné.
Vous l’avez appréciez, vous avez joué avec lui.
Puis facebook l’a cassé…dans le but de vous faire payer la réparation.
Mais même réparé, le jouet ne marche plus aussi bien…

Certes, facebook est confronté aux mêmes problèmes que les autres réseaux sociaux. Ces derniers, en créant des plateformes gratuites, ont facilité les liens entre les individus, les interactions, et donc les contenus.
Cela a tellement bien fonctionné que, en quelques années, la surcharge informationnelle a rendu indispensable une sélection de l’information sur la plupart des grandes plateformes.

Le flux antéchronologique pur, sans sélection, est caduque dès lors que l’information est surabondante, c’est à dire lorsque le nombre trop important de messages rend la consommation de l’information trop difficile, ou trop éloignée des intérêts ou des habitudes du destinataire.

Trois solutions : éditorialisation, algorithme et publicité

Or, il y a trois moyens de sélectionner un flux d’information sur le web :
– une sélection manuelle : c’est l’éditorialisation (ou la curation) dans laquelle une personne va sélectionner des informations selon un contrat de communication pré-établi : c’est le rôle des journalistes, des éditorialistes. C’est également le modèle des médias traditionnels (TV, presse, radio,…), même si ces derniers se basent de plus en plus sur les souhaits et goûts des téléspectateurs, auditeurs et lecteurs.
– une sélection automatique, grâce à un algorithme qui va choisir pour vous l’information qui vous sera délivrée. En général, il est défini en fonction de vos habitudes (historique de navigation, de consommations de produits ou services) et / ou de vos contacts sur les réseaux sociaux (leurs interactions avec vous et / ou leurs habitudes)
– une sélection financière : en faisant payer les publications. C’est évidemment le modèle publicitaire.

La première approche n’est pas possible sur un réseau social ; reste les deux dernières, qui sont donc aujourd’hui combinées sur facebook.

Une concurrence conversationnelle

Je ne vais pas me lancer dans les prédictions sur l’avenir de facebook, je laisse ça aux Nostradamus du 2.0 qui aiment à publier des billets funèbres titrés « facebook n’existera plus dans 5 ans » ; prédictions fort peu utiles, sauf à flatter leur égo dans le cas ou facebook effectivement n’existerait plus en 2017 ; ils pourront en effet prétendre qu’ils avaient raison.

Bref, je ne sais pas si ce système fonctionnera ou pas. Impossible de le dire aujourd’hui.
Facebook est complexe, sans doute trop complexe.

En ajoutant une couche de complexité qu’est le paiement de la visibilité des publications personnelles, facebook ajoute sur son interface un nouveau modèle d’affichage des contenus (en plus du « top stories », du « recent stories » et du « ticker »), et prend le risque de perdre définitivement ses utilisateurs.

Mais imaginons qu’il fonctionne, et que des utilisateurs soient prêt à payer pour faire apparaître leurs publications sur les fils d’actualités de leurs amis.
Si cela fonctionne, cela signifie qu’il n’y aura pas un mais plusieurs personnes, dans vos amis, qui paieront pour être « mis en avant ».
Quelle est la conséquence ?
Une concurrence entre vous et vos amis, finalement pour des conversations personnelles, pour que vos publications soient les plus vues, devant celles de vos amis.
Comment facebook va gérer cette conccurence ?
En inventant encore un nouvel algorithme qui définera lequel des 2, 3 ou 4 publications payées sera mise en avant ?
En mettant en avant plusiseurs publications payées ?
Ou en créeant un système d’enchère dans lequel celui qui paye le plus est mis en avant, sur le modèle publicitaire de Google(2) ?

Sur la page d’aide relative aux « promoted posts » de facebook, est écrit « En faisant la promotion d’une publication, vous la placez simplement plus haut que là où elle apparaît normalement dans le fil d’actualité de votre public. »
Facebook oublie de préciser qu’avec l’edgerank, les publications non-promues n’apparaissent parfois jamais !

Le problème n’est pas de payer pour accéder aux échanges

Le problème de ce nouveau procédé n’est pas de payer pour pouvoir échanger ; nous le faisons déjà.
En effet, toute communication a un prix : envoyer un courrier : le coût de l’enveloppe, du timbre, du papier et de l’encre ; un mail : le coût de l’abonnement à internet ; le téléphone : le prix de la communication ou du forfait,…

Ce qui est nouveau avec facebook, ce n’est pas de payer pour avoir accès à un moyen de communication, mais de payer pour qu’un échange personnel soit plus visible que les autres.
Autrement dit, facebook ne facture pas l’accès à son service, mais la visibilité de nos échanges personnels.
Facebook a transposé aux personnes (et leurs « profils ») ce qu’il a fait pour les marques (et leurs « pages »), et applique aux échanges personnels un modèle publicitaire conçu pour les entreprises.
Avec les « promoted posts », nous devenons des annonceurs qui devons gérer un plan média, calé en fonction des événements importants de notre vie.
Il faudra penser à prévoir dans notre plan média, l’achat d’un « promoted post » pour notre mariage !

Après l’é-réputation, des plans média personnels ?

Nous devions gérer notre e-réputation personnelle, concept également emprunté au monde de l’entreprise et transposé dans la sphère personnelle (3).
Peut-être devrons nous demain gérer les plans média de notre vie personnelle ?

Là est sans doute le plus gênant : avec les « promoted posts » facebook accompagne -voire impulse- cette tendance actuelle à marketer notre vie.

L’attention s’achète…et se mesure

Quand on fait payer un service, on se doit de faire savoir au client le résultat.
Facebook propose donc, à l’instar des pages entreprises, des statistiques (insights) sur ces publications sponsorisées :
« L’annonceur » pourra notamment voir combien de personnes ont vu sa publication, et le pourcentage de l’audience achetée par rapport à l’audience « naturelle » (« regular views » et « paid views »), procédé qui s’inscrit clairement dans le « quantified self »(4).
En tant qu’annonceur, vous connaîtraient donc le retour sur investissement de votre achat d’espace.
Nous pourrons donc optimiser et rentabiliser nos échanges, nos annonces importantes.

Facebook, qui a échoué à faire de la publicité des marques une source de revenu satisfaisante, et qui ne peux pas -selon sa promesse- faire payer l’inscription des personnes, s’est finalement vu contraint de facturer ce qu’il y a de plus personnel : nos conversations.
Peut-être cet acharnement à trouver des sources de revenus publicitaires est-elle le signe de l’incapacité pour facebook à sortir de l’impasse ?

Sur la page d’accueil de facebook, lors de l’inscription est écrit « c’est gratuit et ça le restera toujours ».
Oui, mais à quel prix ?
(1) Bien que Twitter commence depuis ces dernières années a introduire de manière parcellaire une sélection des tweets, notamment dans les modules de recherche avec les top tweets.

(2) Google adwords est basé sur un système d’annonce publicitaires « aux enchères », c’est à dire que, même s’il existe des critères de qualité de contenus, c’est l’annonceur qui paye le plus qui a la plus de visibilité

(3) Lire mon billet la « mauvaise réputation »

(4) Le Quantified Self est un mouvement qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chaque personne de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager (Source : wikipédia)

1 commentaire

Laisser un commentaire