Facebook flatte le narcissisme et crée l’illusion d’être un « People » : de la communication interpersonnelle à la communication de masse

Dans l’acte de communiquer, deux notions sont importantes : la volonté de communiquer, et l’effort que demande cet acte.
Autrement dit, toute communication est, du point de vue de l’émetteur du message, un compromis entre la volonté de communiquer et le coût (l’effort) que cette communication exige.

Le passage de la pensée au message nécessite -généralement- une volonté de communiquer. En effet, personne n’exprime toutes ses pensées ; ce serait fatiguant pour l’émetteur…et pour le récepteur !
Chacun choisit, sélectionne ce qu’il va dire et ce qu’il ne dira pas.
L’effort est également une notion importante.
Communiquer nécessite un effort physique et mental.
Physique car il faut écrire ou parler.
Mental car il faut convertir sa pensée en message, en prenant en compte le récepteur de son message et l’environnement dans lequel on communique. Il faut avoir un minimum d’empathie pour transmettre un message.
Appeler un ami par téléphone, engager une discussion en face à face, envoyer un mail, écrire un courrier,…
Ces actes de communication supposent une volonté de communiquer.
Ils demandent également un effort :
– pour construire le message et s’adapter au destinataire
– pour utiliser les outils nécessaires à la communication
pour envoyer une lettre, il faudra avoir un stylo, une feuille, écrire, avoir une enveloppe, un timbre, et aller poster la lettre dans une boîte aux lettres.
pour téléphoner, il faudra disposer d’un téléphone, avoir ou se souvenir du numéro de téléphone de notre correspondant, appeler, payer la communication,….
Bref, ces outils de communication nécessitent beaucoup plus d’efforts que les réseaux sociaux.
En effet, les réseaux sociaux sont conçus pour optimiser, faciliter la communication, à la fois dans :
– la réception des messages : on accède à différentes informations provenant de différentes sources sur une seule et même page
– la transmission de messages : sur la même page, on peut diffuser un message en quelque mots et quelques clics à tous ses amis, tous ses contacts ou au monde entier.
Il est donc facile, rapide, simple de communiquer grâce aux réseaux sociaux.
A tel point que communiquer ne nécessite plus ou peu d’efforts.
Conséquence ?
Les réseaux sociaux facilitent tellement la communication que la notion d’effort dans la communication s’efface. Et du coup la valeur de la communication.

Inutile de se rappeler la date de l’anniversaire de ses proches, facebook s’occupe de vous le rappeler.
On n’a jamais autant souhaité les anniversaires de ses amis ou contacts depuis facebook.
Inutile d’appeler votre collègue pour savoir si ses vacances étaient agréables, il a diffusé les photos sur son mur.
On n’a jamais été autant informé des vacances de ses amis et contacts depuis facebook.
La communication est devenu tellement facile qu’elle se vide de son sens, entrenant l’illusion que nos proches pensent à nous.
Toute la subtilité des réseaux sociaux et notamment de facebook réside dans le fait qu’on communique à tout le monde ce qu’on communiquait hier à seulement quelques amis.
Dans la vie personnelle, le schéma dominant qui est la communication interpersonnelle (1 émetteur > 1 récepteur) est remis en cause par le schéma des réseaux sociaux, qui est un schéma de communication de masse (1 émetteur > Plusieurs récepteurs)
Ce schéma flatte donc fortement le narcissisme, et donne l’illusion aux utilisateurs des réseaux sociaux d’être des « peoples » car ceux-ci communiquent des informations personnelles à un large public (c’est le modèle de la presse people) et supposent que leurs « amis » suivent leurs « actualités ».
Les états d’âmes, les photos de vacances, les activités et centres d’intérêts deviennent dans facebook des « actualités » (cf le « fil d’actualité » sur la page d’accueil de facebook).
Il est frappant de constater sur facebook que des  communications interpersonnelles (1 émetteur > 1 récepteur) sont faites publiquement sur les murs alors qu’il existe une fonction « message personnel » dans facebook, qui permet de rendre une discussion interpersonnelle privée.
Il est évident qu’une discussion entre 2 personnes publiée sur un mur ne sera pas la même si elle est privée.
Car, bien sûr, les utilisateurs savent que leur conversation est publique, et communiquent donc en conséquence.
Le passage de la communication interpersonnelle à la communication de masse engendre donc naturellement une « théatralisation » de la vie privée.

Et pour rejoindre le débat sur la protection de la vie privée, il semble évident qu’avec les réseaux sociaux, on ne dévoile pas sa vie privée, on la met en scène.


Il est un peu paradoxal de vouloir protèger quelque chose qu’on expose…

18 commentaires

  1. Belle analyse !
    La question de la valeur du message communiqué et de l’acte lui même (en tant que volonté et effort, ainsi que tu le dis fort justement à mon sens) de communication à laquelle tu fais allusion me semble être l’autre aspect fondamental de cette mise en scène.
    Il est triste, je crois, que cette dernière fasse de nous des exhibitionnistes et des voyeurs, plutôt que des dramaturges et des spectateurs… ce qui serait à échelle de la civilisation un peu plus valorisant.
    Heureusement que certains savent poser les bonnes questions. Merci.

    Le grand poète andalous Federico Garcia Lorca a écrit: « ce qui est essentiel au carnaval n’est pas de revêtir son masque mais d’ôter son visage. »
    Face book -du peu que je le connais- est un miroir satisfaisant un narcissisme qui ne passe inaperçu qu’à ceux qui s’y contemplent.

    1. Merci Sylvain pour ce commentaire super enrichissant !
      Effectivement, au final cela peut être positif de voir les choses ainsi : si on reconnaît cette part importante de la mise en scène, c’est plus sain pour l’individu et plus valorisant pour notre société.
      J’adore ta dernière phrase !
      « Face book -du peu que je le connais- est un miroir satisfaisant un narcissisme qui ne passe inaperçu qu’à ceux qui s’y contemplent. »

      Au plaisir d’échanger !

      Sylvain

  2. J’ai du mal à voir la différence entre une communication sur un réseau social et ce genre d’article ci-dessus. Les deux sont destinés à être lus.

    Je me demande si tout le monde ne théâtralise pas sa vie, en fait. Et si beaucoup ne se leurrent pas eux-mêmes. Comme dans l’expression « se la jouer ».

    1. Oui, tout est communication, et potentiellement théâtralisation. Mais il faut tout de même reconnaître que les plateformes web de réseaux sociaux ont un modèle de communication et des fonctionnalités (compteur et visualisation du nombre de like, de commentaires, de retweet…) qui favorise beaucoup cela.

  3. Je vous remercie pour cette analyse trés enrichissante à cette heure de 2016 où ce que l’on peut lire sur Facebook réflète d’une superficialité de masse…. Je pense que cela va plus loin que la mise en scène de sa vie et que cela relate sur le fond d’une défaillance narcissique du sujet dans le réel.
    In fine, c’est la noyade dans une illusion toute puissante d’être un people.
    C’est ici que je vous rejoins.

Répondre à Sylvain Annuler la réponse.